Illustration de l'article
Incontournables
par Thomas Mourier - le 6/03/2020
Partager :
par Thomas Mourier - le 6/03/2020

Féminisme & Bande dessinée

Si beaucoup de médias proposent une sélection de livres récents à cette occasion, nous voulions aller un peu plus loin avec ce dossier intemporel qui vous permettra de trouver des idées de lectures et de réflexions.

💡Les albums sont présentés dans l’ordre chronologique de leurs parutions, n’hésitez pas à nous indiquer d’autres titres que vous verriez dans cette sélection sur nos réseaux sociaux.

▶️ Vous pouvez lire notre dossier Les autrices & la bande dessinée en 2020 en complément ◀️

Sommaire 

1. Réflexion & luttes

2. Témoignages & regards croisés

3. Les grandes figures

4. Fictions

1. Réflexion & luttes ✊

L’Origine du Monde, I’m Every Woman, Les sentiments du Prince Charles, La Rose la Plus Rouge s’épanouit… de Liv Strömquist, Rackham

Le texte de cette notice est extrait de ce dossier : Autrice, animatrice de TV/radio et journaliste, Liv Strömquist travaille depuis quinze ans à déconstruire les représentations du patriarcat et les clichés ancrés dans nos cultures. Et particulièrement, dans ses bandes dessinées.

La dessinatrice décortique les mécanismes inconscients en matière de relations amoureuses à partir d’exemples de la pop culture, des médias ou de la presse à scandale. Elle livre une analyse documentée de la propagation de la norme “hétérosexuelle monogame” avec un humour féroce. Parlons de l’humour justement, puisqu’elle prend à partie certains comiques américains. Une analyse fine à la lumière de références psychologiques et sociologiques, des propos de Jerry Seinfield, Charlie Sheen, ou Tim Allen. Ou plus loin dans côté people avec Whitney Houston & Bobby Brown, Charlie Chaplin & Oona O’Neill… Avec beaucoup de malice, le livre s’ouvre sur une phrase énigmatique du Prince Charles. Une déclaration boiteuse sur l’amour, en écho aux liaisons supposées de la princesse Diana. Et tout l’album est dans cette veine, drôle et intelligente. 

Tout le travail en bande dessinée de Liv Strömquist relève de l’essai ou du documentaire sur les modèles masculin-féminin et les constructions sociales. Des albums captivants, drôles et incisifs qui ont peu d’équivalents.


Commando Culotte : Les dessous du genre et de la pop-culture, Ankama & La Ligue des super féministes  de Mirion Malle, La ville Brûle

Le texte de cette notice est extrait de la chronique de Lucie Kosmala à lire ici : La Ligue des super féministes est composée d’héroïnes bien connues, puisque ce sont nous toutes et tous qui sommes concerné•es.

Dans cette BD ouvertement engagée, l’idée est de proposer un premier constat auprès des plus jeunes de certaines absurdités de la société vis-à-vis des inégalités entre les hommes et les femmes. Elle relate alors avec pédagogie et clarté la question des représentations des femmes, du consentement, de la beauté, de l’écriture inclusive, ou encore des relations amoureuses. Mirion Malle propose des premières pistes de réflexion aux jeunes lectrices et lecteurs avec son trait piquant et impertinent, faisant rimer féminisme avec jovialité.

Le livre est une première confrontation avec cette facette plutôt obscure de notre société. Il endosse également le rôle de premier outil pour la prise de conscience et la discussion, afin que les générations futures permettent un monde plus juste et égalitaire. Et que ces questions ne relèvent plus du militantisme mais du quotidien.


Le féminisme d’Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu, Le Lombard

La « Petite Bédéthèque des Savoirs » est une collection de bandes dessinées encyclopédique qui invite des experts à collaborer avec des auteurs de bande dessinée pour proposer des ouvrages pédagogiques ou de vulgarisation sur de nombreux sujets. Pour aborder celui du féminisme, les directeurs de collection ont fait appel à Anne-Charlotte Husson, enseignante en sciences du langage spécialisée dans les polémiques sur le genre et les nouveaux discours féministes, en particulier le militantisme. Elle est accompagnée par Thomas Mathieu, qui s’est déjà illustré sur le Projet Crocodiles, qui met en image des témoignages & histoires vraies recueillis en ligne autour des femmes victimes de harcèlement, de violences physiques et morales, du sexisme, ou plus généralement la minimisation de ces problèmes.

Pour cet album, les auteurs ont organisé leur présentation autour de sept slogans et citations féministes qui vont permettre de présenter des personnalités fondatrices, des dates clefs, des courants et des perspectives de lutte. Ils abordent aussi les thématiques liées aux genres, au racisme, aux violences et complètent par des portraits et des témoignages en image. Fidèle à l’esprit de cette collection, il y a une introduction éclairante de David Vandermeulen, directeur de la collection, un glossaire et une bibliographie pour aller plus loin.


Séducteurs de rue de Léon Maret d’après une enquête de Mélanie Gourarier, Casterman

Proposés dans la collection Sociorama dirigée par Lisa Mandel & Yasmine Bouagga, ces albums sont le fruit de la collaboration entre un sociologue et un dessinateur. Léon Maret adapte ici le travail de Mélanie Gourarier, anthropologue spécialisée dans les questions de genre. Cette bande dessinée est une adaptation d’une partie de la thèse qu’elle a soutenue intitulée Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes : une ethnographie des sociabilités masculines au sein de la Communauté de la séduction en France.

L’album met en scène et décrypte les comportement & techniques de drague enseignées par des coachs ou des communautés masculinistes. Le dessinateur s’inspire de l’enquête de terrain de Mélanie Gourarier qui a participé à des ateliers ou séminaires de séduction ainsi que dans des lieux de drague (bars, boites de nuits). Son travail révèle l’existence d’une Communauté de la Séduction ou d’Alpha mâles, des groupes ayant des pratiques codifiées qui s’apparentent plus à de la manipulation que de la séduction.

Le dessinateur est particulièrement bien choisi pour ce sujet car Léon Maret joue avec l’absurde & la caricature. Il s’amuse à créer des situations de malaise pour obtenir un comique de situation qui tranche avec l’aspect effrayant de l’enquête.


Quoi de plus normal qu’infliger la vie ? de Oriane Lassus, Arbitraire

Au-delà des demandes liées au cercle familial ou amical, dans cet album, la dessinatrice interroge l’injonction sociale à avoir des enfants. Cette pression inconsciente qui relie la « normalité » à la parentalité pour une femme. Où quand décider de ne pas avoir d’enfant est constamment accompagné d’un questionnement sur les causes médicales ou les conseils « Tu changeras d’avis, tu verras » ou le sympathique « Tu le regretteras quand tu mourras seul·e et abandonné·e de tous ».

Le style d’Orianne Lassus est immédiatement identifiable, trait charbonneux et angulaire qui s’accompagne d’un découpage morcelé où les points de vue alternés. Vues subjectives, gros plans et schémas, son dessin très vivant nous plonge au cœur de sa réflexion intime parsemée d’un humour froid et pince sans rire.

Un album qui met des mots et des images sur un choix qui passe pour un choix négatif sans autre justification que les références culturelles et la tradition.


Un autre regard, La Charge Émotionnelle et Autres Trucs Invisibles, Des princes pas si charmants et autres illusions à dissiper ensemble d’Emma Massot

La dessinatrice Emma s’est illustrée sur internet en publiant de la vulgarisation politique et féministe en bande dessinée. Suivies par des millions de personnes, ses bandes dessinées présentent une réflexion articulée autour d’une documentation solide.

Les recueils proposés chez Massot (dont certains existent en version poche) s’articulent autour de portraits de femmes et de références à explorer. Un mix entre expériences uniques et mises en lumière d’un système de domination : à travers ses lectures et ses rencontres, l’autrice donne des clefs de compréhension sur ces sujets et invite à la réflexion pour changer son rapport à l’autre.

Son dessin sert de véhicule à la pensée et l’aide à systématiser ses recherches. Chacun de ses livres est présenté comme une somme de réflexion sur un sujet, une sorte de journal intime organisé proposant idées, pistes de lectures et réflexion.

Vous pouvez la suivre sur son blog ou ses réseaux pour suivre ses derniers travaux. En ce moment elle se penche sur les réformes des retraites & de Pôle Emploi.


Vagin Tonic & Mamas – Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel de Lili Sohn

Partant d’une constatation qu’il manquait un livre d’introduction à l’anatomie féminine, Lili Sohn se renseigne et remarque que le clitoris est quasi absent des manuels scolaires des collèges en 2018. Un album qui propose de faire le tour de la question en guise de première approche, de manuel à proposer aux ados ou d’album à lire pour faire tomber certains mythes.

En suivant la narratrice, le livre aborde avec humour et documentation plusieurs sujets liés au corps dont on entend en réalité peu parler. Le cycle féminin, l’orgasme, le clitoris, la contraception, les affections génitales, les conceptions freudiennes du sexe ou encore de violences gynécologiques.

Dans Mamas — Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel, elle s’attaque au sujet de la parentalité en croisant ses interrogations, ses recherches et le journal de bord de sa propre grossesse. Alors existe-t-il un instinct maternel ? L’autrice compare ses émotions aux références culturelles et philosophiques, son expérience à la documentation scientifique pour revenir sur ces mythes tenaces.


Pucelle T1 Débutante de Florence Dupré La Tour, Dargaud

Depuis Cigish ou le Maître du Je, Florence Dupré La Tour joue avec la notion de vérité, l’autobiographie et la fiction. Elle démarre un cycle d’album autobiographique avec Cruelle où elle met en scène “son” enfance autour d’un thème particulier, dans celui-ci sa fascination pour les animaux morts et cherche à comprendre si la cruauté est innée en racontant les tortures permanentes de son petit frère ou encore ses liens particuliers avec sa sœur jumelle… Dans Pucelle, ce sera le rapport à la sexualité et au corps qu’elle traite avec le même mélange d’humour noir, de cynisme et de légèreté.

Au lecteur de faire la part des choses du vrai et du moins vrai (on n’ose plus dire faux) mais on est assez fasciné comme le lapin dans les phares de la voiture qui lui arrive droit dessus. Le dessin suit aussi cette ambivalence, très détaillé ou réduit à son minimum comme son propre personnage, les membres de la famille apparaissent caricaturés ou très travaillés dans ces ambiances noires au fusain. Un gris qui enveloppe toute les cases comme une atmosphère pesante, comme une brume qui atténue certains souvenirs. Avec ce nouveau livre, elle continue de creuser son sillon entre l’intime et la provocation.


2. Témoignages & regards croisés 🤞

Dans les Sables Mouvants de Rosalind B. Penfold, Ça & Là (indisponible momentanément)

Sous-titré Une Histoire de Violence Conjugale, cet album est le témoignage de Rosalind B. Penfold, une canadienne qui a vécu en couple avec un mari violent et agressif pendant près de 10 ans. Sous forme de bande dessinée, alternant les moments de vie et les réflexions intérieures, ces pages reviennent sur cette violence conjugale et les raisons qui l’ont poussée à rester avec lui si longtemps.

Dans un style minimaliste, proche du dessin de presse, la dessinatrice se sert des planches pour mettre en scène les dialogues entre elle et son mari, mais aussi cherche à travers des passages plus symboliques à transmettre ses émotions & ressenti.


En chemin elle rencontre, collectif, Des ronds dans l’O (3 volumes)

Plusieurs dizaines d’autrices et auteurs se sont mobilisés pour réaliser ces histoires courtes articulées sur 3 thématiques : les artistes se mobilisent contre la violence faite aux femmes, pour le respect des droits des femmes et pour l’égalité femme-homme. 

Des témoignages mis en image, histoires documentées ou fictions proches de la réalité, les pages de ces 3 recueils offrent un panorama glaçant du quotidien de milliers de femmes aujourd’hui. Des sujets souvent tabous ou pires, contestés par une minorité, que les artistes mettent en lumière par le biais de la bande dessinée. 

Une série d’ouvrages idéale pour ouvrir la discussion avec les jeunes générations et à lire adulte pour en saisir toutes les nuances.

Avec : Nicole Abar / Eric Appéré / Aurélia Aurita / Catherine Beaunez / Adeline Blondieau / Isabelle Bauthian / Agnès Bihl / José-Louis Bocquet / Claire Bouilhac / Catel / Florence Cestac / Laetitia Coryn / Rémi Courgeon / Philippe Caza / Daphné Collignon / Eric Corbeyran / Étienne Davodeau / Carine De Brab / Lucien De Gieter / Didgé / Renaud Dillies / Christian Durieux / Nathalie Ferlut / Jacques Ferrandez / René Follet / André Geerts / Virginie Greiner / Johanna / Frédéric Jannin / Kness / Pierre Kroll / Kris / Denis Lapière / Emmanuel Lepage / Chris Lamquet / Marie-Hélène Loisel / Olivier Le Bellec / Étienne Lécroart / Éric Lenaerts / Magda / Malik / Charles Masson / Alain Maury / Marie Moinard / Valérie Mangin / Damien Marie / Damien May / Anthony Moreau / Rebecca Morse / Pat Masioni / Kkrist Mirror / Nicoby / Jeanne Puchol / Dimitri Piot / Christelle Pécout / Marc-Renier / Anne Rouvin / Gilles Rochier / Raives / Damien Roudeau / Anne Rouvin / Sergio Salma / Muriel Salmona / Aude Samama / Séraphine / Bernard Swysen / Turk / Tignous / Tsutsail / Vanders / Philippe Xavier


Féministes : récits militants sur la cause des femmes, collectif, Vide Cocagne

Comme pour le livre précédent, plusieurs autrices proposent des récits & histoires autour de la condition féminine : harcèlement de rue, clichés sexistes, intersectionnalité, langage inclusif, transsexualité, prostitution…

Un espace de réflexion en bande dessinée qui permet aux dessinatrices d’expérimenter, de réfléchir en prenant un peu de recul sur ces thèmes de société qui sont au coeur de l’actualité. Des propositions qui permettent d’ouvrir le dialogue et de proposer de nouvelles idées autour de la lutte pour l’égalité femme/homme.

Un format éprouvé, l’éditeur a proposé d’autres livres comme Les Désobéisseurs et Hôpital Public sur le même format. 

Avec la participation de : Annaïg Plassard / Sarah Ayadi / Aurélie Bévière / Claudia les mains rouges / Ingrid Chabbert / Anne-Perrine Couët / Elvire De Cock / Marie Gloris Bardiaux-Vaïente / Julie Gore / Laurier The Fox / Valérie Lawson / Louison / Morgane Parisi / Christelle Pécout / Jeanne Puchol / Théa Rojzman


Mélody de Sylvie Rancourt, Ego comme X (indisponible) 

Comme Rosalind B. Penfold dont on parlait plus haut, Sylvie Rancourt est canadienne et s’est mise à la bande dessinée pour raconter son quotidien. Elle est danseuse, danseuse nue et raconte son quotidien, ses collègues strip-teaseuses, ses clients dans les clubs de Montréal au milieu des années 80.

Ce journal intime, véritable bande dessinée autobiographique avant l’heure était vendue sous forme de recueils photocopiés par l’autrice qui relate son vécu en changeant seulement les noms des protagonistes. Danseuses, souteneurs, dealers, mafieux ou simples clients, la jeune danseuse condense ses rencontres et expériences dans ces planches qui sont pensées comme un défouloir de cette réalité difficile. Un livre qui, aux dires de la dessinatrice, lui a permis de survivre.

Le trait s’attache à décrire les corps, son corps, avec des passages très surprenants & beaux sur le mouvement ou les choix de cadrages. L’autrice met en scène la nudité et des passages parfois crus qui relate de son expérience qui a valu au livre d’être parfois classé dans les rayons érotiques des librairies.

Un livre attendu depuis sa publication en anglais à partir des fanzines de l’époque qui malheureusement n’est plus disponible suite à la fin de l’activité de son éditeur français Ego comme X.


Hé ! Mademoiselle ! de Yatuu, Delcourt

Dans ce livre humoristique, Yatuu s’attaque au « harcèlement de rue », une expression qui englobe toutes les remarques, apostrophes et gestes non sollicités par un individu, le plus souvent une femme, dans l’espace public. Un phénomène identifié depuis plus d’une vingtaine d’années, mais qui n’est médiatisé en France que depuis quelques années.

Drague, interpellation, remarques sexistes, agression… La liste est longue et la dessinatrice propose plusieurs cas de figure à partir de situations vécues pour cerner le problème. Et, propose des idées pour désamorcer ce harcèlement. L’humour comme dernier rempart de la méchanceté et l’imbécilité, ce sera l’une des leçons à la lecture de ce livre.

L’autrice a réalisé plusieurs albums de ce type entre humour et réflexion sociétale, d’abord avec Moi, 20 Ans, Diplômée, Motivée… Exploitée ! sur le business des stagiaires et leur exploitation à partir de son expérience et Génération Mal Logée ! sur les difficultés d’accéder à la location pour les jeunes générations et les abus de ce secteur. Dans Pas mon genre !, elle s’interrogeait sur cette notion de genre et de ce que cela implique dans notre société quand une jeune femme ne se sent pas « féminine » et ne renvoie pas l’image attendue.


Le Vrai Sexe de la Vraie Vie de Cy, Lapin (2 volumes)

Après un appel à témoignage sur le site madmoiZelle où elle travaille comme graphiste, Cy se met à dessiner des strips mettant en scène la sexualité. Ou plutôt des sexualités, en recueillant toutes ces histoires et en les transposant en dessin, la dessinatrice ne garde comme contrainte que celle de rester sincère et de ne pas érotiser/esthétiser l’acte sexuel comme c’est généralement le cas dans les œuvres de fiction. Parler du “sexe de la vraie vie” implique les désillusions, les choses ratées, les maladresses, les regrets et quelques tabous, mais évite le piège de la fétichisation et de la pornographie racoleuse.

Si les planches sont érotiques, suggestives et vivantes, elles racontent surtout des histoires. Elle s’intéresse aux personnages avec leurs émotions et relations et à travers eux, à notre société et ses codes.


Paroles d’Honneur de Laetitia Coryn & Leïla Slimani, Les Arènes

Après le succès de son premier roman Dans le jardin de l’ogre, la lauréate du prix Goncourt 2016 pour Chanson douce, Leïla Slimani, s’est lancée dans un essai sur la sexualité des femmes au Maroc. Un livre intitulé « Sexe et mensonges » qui a servi de base pour cet album Paroles d’Honneur.

Laetitia Coryn & Leïla Slimani s’intéressent dans une première partie à retranscrire en image plusieurs témoignages de femmes autour de plusieurs tabous, pressions sociales liées au sexe et obsession de la virginité dans la culture marocaine. Puis, l’album se penche aussi sur l’homosexualité qui est réprimée par la loi marocaine au moment de la tenue d’un concert de Placebo, que le leader du groupe Brian Molko dénonce sur scène.
Et une dernière partie qui laisse place à la réflexion & analyse d’intellectuels qui apportent un regard critique sur les témoignages précédents. Mais également sur la dualité de la sexualité dans la société en général.


Moi en Double de Navie & Audrey Lainé, Delcourt

Un album sur l’obésité et l’acceptation de soi, sur la difficulté à lutter contre soi-même en plus de subir le regard des autres. Inspirée de sa propre expérience, la scénariste Navie raconte le moment de sa vie où elle personnifie son problème, son double. Un double qui lui pèse et qui lui rend la vie difficile et dont la matérialisation va l’aider à ne pas perdre espoir.

Graphiquement matérialisé par un personnage rouge dans un album noir & blanc, ce double s’accroche et se fond dans le corps de l’héroïne en ayant une influence sur son corps et son esprit. Un témoignage sur la souffrance intérieure dont la principale cause, le surpoids, représente une source de moquerie sans fin dans notre société. Cet album est la synthèse d’un parcours au terme duquel l’autrice milite pour l’acceptation de soi, a entamé un suivi médical et a réussi à perdre beaucoup de poids.


Cher Corps de Léa Bordier & Collectif, Delcourt

Le texte de cette notice est extrait de la chronique de Lucie Kosmala à lire ici : Cher Corps est à l’origine le nom du projet que la vidéaste Léa Bordier a lancé sur sa chaîne YouTube. Des jeunes femmes y partagent sur le ton de la confidence où en est leur rapport à leur corps, qu’il soit conflictuel ou apaisé, dans tous les cas toujours inspirant.

L’initiative est ainsi portée sur le papier où une sélection de témoignages, publiés sur la chaîne pour certains quand d’autres sont inédits, est réinterprétée par des illustratrices à la patte graphique forte et assumée et dont l’implication personnelle est palpable. La variété des styles s’harmonisent au rythme d’un ouvrage profondément humain qui déploie toute une palette d’émotions, lesquelles convergent vers un sentiment plus général d’apaisement. C’est pourquoi il est de bon ton de mettre la BD de Léa Bordier dans toutes les mains au plus tôt, tant il fait du bien.


Il fallait que je vous le dise d’Aude Mermilliod, Casterman

Ce livre est le témoignage d’une femme qui se découvre enceinte et dont on va suivre le quotidien. Réflexions personnelles, réaction des proches ou ses lectures, l’album propose plusieurs points de vue autour du personnage principal pour nous faire saisir la complexité de cet événement qui change une vie.

Un récit autour de la difficulté de partager cette expérience, de la profusion de sentiments contradictoires, de la souffrance, du traumatisme et de sa représentation sociale. Le droit à l’avortement est un sujet de société si délicat, qui fait l’objet de pressions sociales si fortes, que cette situation ajoute une barrière importante à la réflexion personnelle déjà compliquée. Et si l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse est une pratique médicale encadrée par la loi, dont l’entrave est punie par la loi, elle reste un acte médical à part.

Le livre s’accompagne d’une lecture des livres du médecin Martin Winckler, un praticien devenu romancier et essayiste qui a beaucoup écrit sur ces sujets qui divisent aussi le corps médical. Il y dénonce le manque d’empathie et les violences gynécologiques de la part de certains médecins qui renoncent parfois à prendre soin des autres.

Un témoignage qui éclaire et dédramatise, qui revient sur le combat de Simone Veil et la loi de 1975 qui encadre la dépénalisation de l’avortement et ses suites. Et met des mots et des images sur un sujet peu abordé alors que les statistiques annoncent que près d’une femme sur 3 y aurait recours dans sa vie.


Tant pis pour l’Amour ou Comment j’ai survécu à un Manipulateur de Sophie Lambda, Delcourt

C’est l’un des succès de librairie de la fin d’année 2019, cet album de Sophie Lambda met en scène un moment de sa vie où elle était dans une relation toxique aux côtés d’un manipulateur. Une situation qui rappelle Dans les Sables Mouvants cité plus haut où derrière les mots amour & couple peut se cacher un véritable piège dont la narratrice peine à en sortir.

En plus d’être un témoignage, l’album est pensé aussi comme un guide pour donner quelques pistes pour mettre des mots sur les pervers narcissiques et les manipulateurs, mais aussi des clefs pour les démasquer. Car ce type d’individu n’est pas cantonné à un genre, un âge ou une catégorie sociale. Adaptant ses lectures sur le sujet, la dessinatrice dresse des portraits robots, des signaux à repérer et donne des outils de compréhension. 

La narratrice confronte son expérience avec celles d’autres amies et recoupe certains témoignages, découvre que son épreuve n’est pas un cas isolé. Elle va plus loin dans une deuxième partie avec un dossier documenté qui accompagne les planches. Elle y explique sa démarche en soulignant qu’une fois au courant, il est plus difficile de se faire piéger.


3. Les grandes figures 💪

Ainsi soit Benoîte Groult de Catel, Grasset/Fasquelle & Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker de Catel Muller & José-Louis Bocquet, Casterman

Autrice de biographies fictionnées sur Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker et Olympe de Gouges avec le scénariste José-Louis Bocquet ou plus récemment sa belle adaptation de La Princesse de Clèves avec Claire Bouilhac, l’œuvre de Catel interroge l’image de la femme et sa place dans notre société à travers des grandes figures.

Ainsi soit Benoîte Groult est un peu à part dans cette bibliographie, car les deux femmes dialoguent et il s’agit moins d’une bio que d’une rencontre. À la fois biographie et témoignage d’amitié, cette bande dessinée donne la parole à Benoîte Groult, autrice, journaliste et grande figure du féminisme. Une amitié qui sert de point d’appui aux interrogations, réflexions et propositions des deux autrices.


Marie Curie, la Fée du Radium de Chantal Montellier & Renaud Huynh, Dupuis

Figure incontournable des livres d’histoire, l’un des rares personnages féminins avec Jeanne D’arc à faire l’objet de plusieurs fictions en bande dessinée, Marie Curie est à la fois incontournable et méconnue. Chantal Montellier propose un récit qui revient sur la place qu’elle occupe en 1911, entre les attaques contre elle, son passage à l’Académie des Sciences, le soupçon orchestré du vol du travail de son mari ou son double Prix Nobel.

Renaud Huynh (directeur du musée Curie) propose dans une seconde partie un portrait sous forme chronologique qui revient sur ses origines, sa vie, son travail et la réception de ses travaux.


Moi Jeanne d’Arc de Valérie Mangin & Jeanne Puchol, Des ronds dans l’O

Cet album se distingue des autres albums de la sélection, car il propose une biographie de Jeanne d’Arc aux accents fantastiques. Cette fois, les autrices ne se contentent pas de mettre en scène la vie & les faits d’armes de cette figure historique, mais imaginent un background fantastique qui éclaire certains choix ou facettes de cette héroïne qui restera à jamais mystérieuse.

L’hagiographie laisse place au doute et à d’autres puissances que celle de Dieu, le portrait canonique de la “pucelle” laisse place à la femme et cette histoire s’éloigne des récupérations habituelles du personnage. Cette nouvelle approche est mise en valeur par le trait réaliste de Jeanne Puchol, qui propose et intègre les éléments fantastiques aux décors crédibles, pour appuyer un peu plus ce jeu des autrices qui cherchent à se débarrasser du mythe qui a été établi en réalité.


L’insoumise de Chantal Montellier, Actes Sud – L’an 2

Biographie en image de Christine Brisset, une femme issue de la bourgeoisie qui décida au sortir de la Seconde Guerre Mondiale de reloger des milliers de personnes qui avaient perdu leurs maisons. Elle fonde le mouvement des Castors, mobilise des fonds et des volontaires et lança la construction de bâtiments après avoir occupé des logements vacants et aidé des familles.

Personnage moins connu que l’abbé Pierre qui s’inscrivit dans le même combat, Christine Brisset a fait l’objet d’un documentaire en 2004 par Marie-José Jaubert On l’appelait Christine qui a en partie inspiré cette bande dessinée.


Moderne Olympia de Catherine Meurisse, Futuropolis

Catherine Meurisse prend plaisir à partager : une vocation de passeur, une complicité érudite qu’elle entretient avec ses lecteurs et Moderne Olympia dans la collection Musée d’Orsay n’échappe pas à la règle. À travers l’histoire d’Olympia, c’est tout un pan de l’histoire de l’art qui s’anime : les anciens contre les modernes, les impressionnistes “officiels” & “refusés” et bien sûr les peintres “pompiers”.

L’autrice nous propose un voyage érudit à travers les intrigues façon téléréalité entre Venus et Olympia, deux égéries picturales que tout oppose. Avec un grand pas de côté, les pages de cet album nous donnent à voir les grandes heures de la peinture moderne et proposent plusieurs niveaux de lecture réjouissants. Pas besoin d’être un expert pour savourer cet album bien que connaître ses œuvres révèle une myriade de clins d’œil.


Culottées de Pénélope Bagieu, Gallimard

Deux albums qui regroupent plusieurs dizaines de portraits de Culottées, Des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent. Pénélope Bagieu. retrace en quelques pages les biographies ou instants clefs d’une vie d’aventurières, scientifiques, autrices, actrices, journalistes, politiciennes ou reine des bandits.

Portraits inspirants, (re)découverte de personnalités méconnues ou connues sous un autre angle, ces deux recueils sont devenus un succès de librairie ininterrompu depuis 4 ans. Une thématique engagée, un regard neuf, beaucoup d’humour, des doubles pages très graphiques et un format épais, il faut dire que ces livres, intégrales ou non, ont tout du cadeau parfait.

L’autrice qui vient de publier Sacrées Sorcières en bande dessinée d’après le roman de Roald Dahl a annoncé également que l’adaptation en série animée sur France TV sera diffusée à partir du 8 mars 2020. Vous pouvez découvrir un épisode en avant-première ici.


Dures à cuires de Till Lukat, Cambourakis (indisponible momentanément) 

50 portraits de femmes présentés à travers une anecdote ou un fait marquant. En deux pages, Till Lukat esquisse une biographie, un portrait ou un fait d’armes de ces femmes célèbres ou méconnues.

Présentées sous forme de gags en quatre cases assorties d’une courte notice, ces planches sont accompagnées d’illustrations couleur conçues comme une série de cartes à collectionner. L’angle est bien sûr politique, activiste ou féministe pour présenter ces portraits de « dures à cuire » et chaque page, par son côté lapidaire & efficace, est une invitation à aller chercher plus loin.


Artemisia de Tamia Baudoin & Nathalie Ferlut, Delcourt

Une vie de combats & de peinture pour Artemisia Gentileschi, première femme peintre officiellement reconnue par l’Académie et l’une des seules à avoir abordé les sujets historiques ou religieux.

L’album se présente comme une biographie de la peintre et revient sur les moments importants de son parcours croisé avec différents points de vue sur la place des femmes dans la peinture et l’art à cette époque qui résonnent toujours avec notre époque.

Tamia Baudoin arrive à mêler le baroque du dessin d’Artemisia à son univers graphique proche du conte, qui donne une atmosphère très différente des biographies habituelles. Un aspect très graphique qui donne envie de connaître son travail autant que la découverte de sa vie & ses combats. 


Femme rebelle – L’histoire de Margaret Sanger de Peter Bagge, Nada

Un livre un peu à part dans la bibliographie de Peter Bagge, dessinateur de la scène underground proche de Robert Crumb et Joe Matt qui habituellement raconte ses mésaventures à travers son double de fiction Buddy Bradley.

Ici, il s’attache à raconter quelques épisodes marquants de la vie de Margaret Sanger, une activiste américaine à l’origine du planning familial et de la promotion des moyens contraceptifs aux États-Unis.

Sans abandonner son style cartoon et proche de la caricature, Peter Bagge propose un portrait sincère de cette « femme rebelle » en bande dessinée qu’il complète par une longue introduction sur son approche et sa volonté de faire ce livre assez différent de sa production. Mais également plusieurs pages de références qu’il a utilisées pour cerner le personnage.


Les Découvreuses de Marie Moinard & Christelle Pécout, 21g

Le texte de cette notice est extrait d’une chronique à lire ici : Les autrices ont sélectionné 20 personnalités scientifiques méconnues qui ont toutes laissé une marque dans leur domaine d’expertise (et même plusieurs pour certaines…). À travers 15 fiches illustrées du XVIIIe siècle à nos jours, pour présenter quelques-unes de ces personnalités, complétées par 5 personnalités qu’elles présentent en particulier à travers des histoires courtes de 10 à 20 pages.

5 portraits racontés par les autrices qui présentent Marie Curie (double Prix Nobel de Physique & Chimie), Ada Lovelace (pionnière de l’informatique & mathématicienne), Mae Jamison (astronaute & médecin), Rosalind Franklin (pionnière de la biologie moléculaire) & Hedy Lamarr (pionnière des communications & du wifi, mais également star d’Hollywood). Pour certaines, leur travail et l’importance de leur contribution à la science fut découvert après leur mort. Pour d’autres, leur succès ont immédiatement inspiré des vocations. La mise en scène sous forme de bande dessinée, permet de comprendre leur destin incroyable et de brosser en quelques pages un condensé de leurs “aventures” documentées et tirées de faits réels.


Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin d’Émilie Plateau, Dargaud

La dessinatrice Émilie Plateau s’inspire d’une biographie de Tania de Montaigne qui met en lumière un personnage historique méconnu, Claudette Colvin, une jeune fille de quinze ans qui va refuser de céder sa place dans un bus à une femme blanche. Elle qui rêvait de devenir avocate se retrouve arrêté, agressée et passé en justice pour ce refus.

Cette histoire se passe en Alabama quelques mois avant l’histoire presque similaire de Rosa Parks qui elle, deviendra une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale. L’album revient sur les détails qui ont éclipsé l’injustice et le combat de Claudette Colvin.

Un album immersif dont la narratrice s’adresse directement au lecteur en lui proposant de se plonger dans le lieu et l’époque. En proposant une mise en scène et un découpage peu courant en BD qui évoquent le travail du souvenir et de la mémoire à travers le trait minimaliste d’Émilie Plateau.


4. Fictions 👈

Odile et les crocodiles, L’Inscription, Sorcières & mes sœurs… de Chantal Montellier, Casterman

Toute l’oeuvre de Chantal Montellier est à redécouvrir. L’une des figures emblématiques de la presse des années 70 et 80 à imposer son style réaliste et incisif à travers ses illustrations et ses bandes dessinées.

Ses histoires engagées et militantes s’articulent autour de fiction, bande dessinée ou roman mais aussi d’albums militants et documentés comme Les Damnés de Nanterre, qui réouvre un fait divers politique et apporte de nouvelles pistes de réflexion. 


Agrippine de Claire Bretécher, Dargaud

Le texte de cette notice est extrait d’un dossier à lire ici : L’œuvre de Claire Bretécher s’articule autour de l’observation et d’une chronique éclairée de notre société. Tout au long de sa carrière, particulièrement dans les pages des Frustrés et d’Agrippine, elle chroniquera la vie de ses contemporains avec humour et justesse au point que Roland Barthes la désignait en 1976 comme « le meilleur sociologue de l’année. ». Dans ses planches, elle aborde tous les thèmes en vogue dans les années 60–70 et ceux qui étaient encore tabous dans les grands médias : libération sexuelle, féminisme, homosexualité, l’argent et la politique, la famille et le couple, l’éducation et les enfants…

Avec Agrippine, elle se penchera sur les ados qui se confrontent à notre société et aux aînés. Planches humoristiques aux dialogues percutants et à la portée réflexive profonde, ses œuvres ouvrent un champ d’exploration nouveau dans la bande dessinée en proposant une œuvre qui observe et questionne le monde autant qu’elle diverti.


Le bleu est une couleur chaude de Jul’ Maroh, Glénat

Le texte de cette notice est extrait d’un dossier à lire ici. Avec son adaptation au cinéma par Abdellatif Kechiche sous le titre La Vie d’Adèle qui remporte la Palme d’or 2013 à Cannes. À noter que si l’auteur et le réalisateur ont collaboré pour ce long-métrage, le film n’est pas une adaptation fidèle de la bande dessinée. Et l’album a reçu le Prix du Public Fnac-SNCF en 2011 au Festival de la BD d’Angoulême.

Une histoire d’amour sur plusieurs époques, mais surtout un récit d’apprentissage, on découvre la vie de deux jeunes femmes Clémentine et Emma. De leurs premiers questionnements à leur vie à deux, en passant par l’homophobie & le militantisme : le destin de ces femmes permet à l’autrice d’aborder plusieurs sujets clefs sans donner de leçons à travers le courage des protagonistes.


Coney Island Baby, Maléfiques de Nine Antico, L’association 

Nine Antico explore des figures de femmes célèbres ou non, réelles ou non qui s’interroge sur la sexualité et la place de cette sexualité dans un monde dominé par la vision masculine de celle-ci.

Si Coney Island Baby relevait plus du documentaire ou de la reconstitution autour des grandes figures du porno, inspiré par les stars Betty Page, Linda Lovelace et Hugh Hefner (le créateur de Playboy), son dernier ouvrage Maléfiques relève plus de la comédie. Une bande dessinée aux dialogues trashs et sans tabous sur toutes les questions liées à la sexualité qu’on pourrait se poser.
Conversations décalées, drôles et transgressives, la dessinatrice a changé de style graphique pour marquer la rupture avec ses albums précédents. 


Des Salopes et des Anges de Florence Cestac & Tonino Benacquista & Filles des oiseaux de Florence Cestac, Dargaud

Dans Des Salopes et des Anges, Florence Cestac et Tonino Benacquista s’attaquent à un moment historique : la lutte portée par Simone Veil pour la dépénalisation de l’avortement en France. Dans cette fiction inspirée du climat social de la France des années 70, on suit plusieurs femmes, issues de plusieurs milieux, qui partent en Angleterre pour avorter révélant en creux ce moment historique.

Avec Filles des oiseaux, Florence Cestac remonte un peu le temps et met en scène la vie de jeunes femmes dans un pensionnat catholique dans les années 60. Ici aussi, les différents milieux sociaux vont se rencontrer et cohabiter et à travers les héroïnes de cette histoire, on distingue l’écart social autant que la mainmise de la religion sur l’éducation.


La Geste d’Aglaé, Cixtite Impératrice, Boris : L’enfant patate & Gousse & Gigot d’Anne Simon, Misma

Depuis une quinzaine d’années, Anne Simon construit une fresque morcelée qui s’articule autour d’un ensemble cohérent traitant de féminisme dans un monde fantastique et délirant : la saga du Marylène. C’est un peu comme Donjon mais porté par une autrice unique et utilisant le merveilleux, l’absurde et le conte pour parler de sujets de société, entre rapports de domination, sexualité non consentie, viol…

Si l’humour est omniprésent et que les dessins invitent à la rêverie, on reste dans une série de petits contes cruels dont les protagonistes sont tour à tour, selon les albums, les puissants de ce monde ou des personnages secondaires.


Velue de Tanxxx, Six pieds sous terre

Une histoire d’enfance et d’injustice, vécue à travers les yeux d’Isabelle qui doit cacher son extrême pilosité. Entre les injonctions paternelles à se raser, la honte du regard des autres, la jeune fille permet à la dessinatrice de parler de violence sociale, de conformisme et d’exclusion. Une fois ado, elle découvre que le genre humain n’est pas aussi mauvais que son père l’affirmait même si la jeune femme devra se battre pour s’accepter.

Trop rare en album, la talentueuse Tanxxx livre ici une de ses meilleures histoires. Un album noir plein de colère qui sonne juste porté par un dessin magnétique. Tout au noir souligné d’un vert pâle, cet album en bichromie demande plusieurs relectures pour l’apprivoiser.


Pari(s) d’amies de Rokhaya Diallo & Kim Consigny, Delcourt

La journaliste, essayiste et militante Rokhaya Diallo s’est associée à la dessinatrice Kim Consigny pour proposer une bande dessinée qui laisse la parole à des héroïnes issues de la mixité. Un groupe de cinq amies trentenaires toutes d’origines différentes qui se retrouvent, s’éloignent, se confrontent dans leurs vies parisiennes à notre époque.

Un album aux allures de comédie légère qui s’attaque à plusieurs problèmes de société et prend de temps de confronter plusieurs points de vue sur l’identité et le racisme, les discriminations sociales et culturelles ou le féminisme.


Bitch Planet de Kelly Sue DeConnick & Valentine de Landro, Glénat

La scénariste du renouveau de Captain Marvel en comics et au ciné (lire le coup de coeur ici) s’est lancé dans une série d’anticipation qui ravira tous les fans de Black Mirror ou de la Servante écarlate. Imaginez un monde dominé par les hommes (ok pas dur) où les femmes jugées non conformes sont envoyées en orbite, dans une prison spatiale qui a tout d’une arène. Bienvenue dans l’enfer de Bitch Planet.

Derrière son côté Mad Max ou sa violence physique, on découvre un comics engagé, mettant en scène sexisme, racisme, homophobie ou encore la grossophobie. Les auteurs ne cachent rien, montrent avec subtilité la violence, l’oppression et la domination ordinaire aussi bien que l’agressivité, la criminalité et l’injustice de manière ultra-violente.

L’éditeur français a eu la bonne idée de proposer des bonus graphiques mais aussi contextuels avec interview des auteur·rice·s, des témoignages de femmes et un éditorial sur le féminisme dans la pop-culture.


L’Essentiel des gouines à suivre d’Alison Bechdel, Même pas mal

Le texte de cette notice est extrait d’un dossier à lire ici : L’autrice américaine a publié pendant 25 ans un strip L’Essentiel des gouines à suivre (Dykes to Watch Out For en V.O.) qui aborde énormément de thèmes liés à la communauté LGBTQI+ et propose un portrait de son évolution au fil des deux décennies couvertes par la dessinatrice. Très politique et engagée, cette série fait écho à l’actualité et s’interroge sur des problématiques de société qui en font un strip très contemporain. 

Alison Bechdel a également réalisé 2 albums sur ses parents (Fun Home puis C’est toi ma maman ?) qui contiennent aussi ses propres questionnements : de ses découvertes littéraires à l’affirmation de sa sexualité jusqu’au moment où elle assume pleinement son homosexualité. Elle se livre à un travail profond où elle s’attache à comprendre quelle a été la part d’influence de ses parents sur elle et sur ses choix et la nécessité de se préserver un espace, une distance critique pour s’affirmer.


Sunny Sunny Ann ! de Miki Yamamoto, Pika

Plus proche des écoles européennes, c’est le dessin de Miki Yamamoto qui surprend et nous accroche quand on ouvre ce manga. Une balade sans fin sur les routes, sur les traces d’Ann, jeune femme éprise de liberté qui vit au jour le jour selon ses envies.

N’ayant pour possession qu’une voiture, que pour horizon la route et la fumée de ses cigarettes, Ann ne se refuse rien et vit sa vie comme elle l’entend. Refusant contraintes et conventions sociales, disposant comme bon lui semble de son corps et ses idées. Un manga atypique qui ouvre une fenêtre éphémère vers la liberté, le temps d’une balade avec Ann.


Déesse de Aude Picault, Les Requins Marteaux

Déjà le 20e numéro de la collection BD Cul des Requins Marteaux qui invite les auteurs les plus en vue du moment à proposer un album entre humour et pornographie. Aude Picault en signe 2, le premier et pour le moment dernier album de la collection.

Une plongée dans les grands mythes et la Genèse de la Bible avec la réhabilitation de Lilith, première femme avant Eve qui ne voulu pas se soumettre à Adam. Aude Picault imagine un prélude au Jardin d’Eden où Lilith se révolte, où Dieu prend le parti d’Adam en créant une seconde femme plus docile, mettant le doigt et un nom sur la tentatrice qui précéda le serpent. 


Saison des roses de Chloé Wary, FLBLB

Album lauréat du prix du public au dernier Festival d’Angoulême, ce livre réalisé au feutre impressionne autant par sa maîtrise technique que par la justesse des dialogues et des situations évoquées. À travers le quotidien d’une équipe de foot féminine, c’est un beau portrait de la jeunesse et de la banlieue qui est proposé par Chloé Wary.

Ce portrait de jeunes footballeuses qui se battent pour que leur club existe, permet à la fois de parler d’amitié, de solidarité et de passage à l’âge adulte autant que de sexisme et d’idées reçues. Un des meilleurs albums parlant de football, un sujet rarement réussi en bande dessinée.


Wimmen’s Comix de Trina Robbins & Collectif, Komics Initiative

Un gros projet d’édition, une intégrale qui regroupe les publications de dizaines d’autrices qui ont créées des comics/comix engagés ou déjantés à l’initiative de Trina Robbins.

C’est beau, éclectique et historique. L’intégrale, récompensé aux Eisner 2017 (catégorie patrimoine) regroupe tous les numéros de ce projet publié pendant près de 20 ans, avec en bonus pour la version française, un appareil critique et introductions qui éclairent la genèse de cette initiative unique.


Illustration principale extraite de la couverture de Féministes : récits militants sur la cause des femmes : ©Julia Wauters/ Vide Cocagne

Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail